Mademoiselle Christina vient tout droit du folklore roumain et tient de toute évidence une place à part dans l’oeuvre du célèbre indianiste et grand spécialiste du fantastique, Mircea Eliade. C’est une histoire de vampires dans un monde en proie au blasphème
Nous dit Cahiers de l’Herne : Mademoiselle Christina vient tout droit du folklore roumain et tient de toute évidence une place à part dans l’oeuvre du célèbre indianiste et grand spécialiste du fantastique, Mircea Eliade. C’est une histoire de vampires dans un monde en proie au blasphème ; pour l’exorciser un jeune homme tue par deux fois le vampire en lui transperçant le coeur avec un pieu en fer. Le dialogue entre le monde des morts et celui des vivants n’est pas éphémère. Par le caractère fulgurant des expériences extatiques et par le rituel des initiations, il est permanent et généralisé à travers une véritable stratégie de la terreur. Les deux camps se livrent un siège sans merci dans une sorte de "western danubien", à ceci près que les belligérants se disputent non des fortunes mais des âmes, et que leurs armes ne sont pas des armes classiques, mais des rituels magiques.
Une fois n’est pas coutume, je vais me contenter de vous signaler les points qui m’ont parus intéressants (d’autant plus qu’en réalité ma lecture date d’il y a plusieurs mois).
Ecrit en 1935, le plantage du décor dans ce récit a une configuration de texte fantastique assez classique : un jeune homme qui ne paie pas de mine est invité à séjourner dans la maison familiale de la jeune fille pour laquelle il éprouve des sentiments enterrés sous la discrétion et le platonique. La demeure est assortie de quelques domestiques et d’un bois où on peint, se promène, fume la cigarette. A ceci près que la narration n’est pas interne mais omnisciente, ce dont on saisit l’utilité, mais qui enlève un charme certain ; c’est une stratégie d’écriture qui manque d’astuce à mon avis.
Point de prouesses stylistiques donc, mais l’ambiance y est ; on est dans du terrifique.
D’abord, les habitants de cette maison sont tous étranges et cette maison elle-même, surtout, sue par les murs la moiteur des cauchemars incompréhensibles, une chambre en est le cœur, la pièce intouchée qui contient le portrait d’une jeune fille tuée lors d’une jacquerie (d’aucuns dans le village prétendent que c’est volontairement qu’elle a donné son corps à des dizaines de paysans). Le portrait, c’est un objet très vampirique, c’est comme le miroir et c’est aussi très inquiétant. Toujours cette histoire avec l’image du vampire. Reflets, portraits, photos, ombres. Ces choses qui sont nous et hors nous, qui nous appartiennent sans qu’on les maîtrise. Oui, les auteurs vampiriques aiment ça (et Murnau et Coppola et...), jouer avec les modalités d’apparition du vampire, le faire se matérialiser soudainement, comme s’il avait toujours déjà été là, comme votre ombre qui, les soirs d’angoisse, monopolise soudainement votre conscience.
Eliade fait pénétrer dans l’empire du rêve comme s’il s’agissait d’une autre dimension, qui se superposerait à la vie éveillée (oui, les auteurs vampiriques aiment bien jouer avec les rêves, aussi, parce que c’est comme si le vampire était là et pas là en même temps, vivant et mort, ici et Ailleurs) et dans cette dimension, le vampire est là. Physiquement. Peut-être était il déjà là avant, mais nous vivions alors sans la conscience de la dimension onirique. C’est un gros souci qui poursuit le héros pendant tout le livre, ça. Le vampire a-t-il accès aux deux dimensions, au rêve et au réel, ou suis-je encore dans le rêve ? Jusque dans le dénouement, le doute subsiste et ça, c’est au moins un peu original, même si le vampire est souvent couplé au rêve dans la littérature, rarement la situation reste aussi indéfinissable. On voit bien qu’Eliade a voulu pointer le problème des frontières et utiliser l’aspect le plus fondamental de la figure du vampire : son impossibilité, son impensabilité. En présence du vampire, lors des scènes à l’aspect rêvé, on sent toute l’anormalité que véhicule la présence de celle qui ne devrait pas être vue, pas sue, qui devrait rester dans les ombres, les portraits, les miroirs ; en forçant l’incarnation, en se faisant physique, Christina, la vampire, alors qu’elle veut se faire désirer charnellement, n’apparaît que plus choquante pour la raison et pour les sens, c’est un larsen, une vision intenable, impossible : un vivant ne peut pas savoir ce qu’est la mort, elle lui est à jamais étrangère, il ne peut pas la « vivre ». Christina, pour exister, doit tordre les dimensions, les personnages ne distinguent plus d’entre les deux.
Pour finir, encore deux petites choses : ce n’est pas avec un fou que pactise le vampire, c’est avec une petite fille et c’est potentiellement beaucoup plus terrifiant. C’est sans doute l’élément le plus effrayant du roman : le regard monstrueux de l’enfant sage.Dernière originalité : le vampire est fortement relié aux... moustiques, et pas aux chauve-souris. Vous ne vivrez plus vos nuits au camping de la même façon...Ce n’est pas de la très grande littérature ni un pilier du genre, mais je vous conseille ce bouquin. Franchement.
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